Dans son mouvement d'exode – comme quelqu'un l'a défini – Congdon a été sûrement inspiré par un texte qu'il a lu pendent la guerre et qui était devenu une sorte de livre de chevet: c'est L'Esprit des formes d'Elie Faure, une curieuse figure d'historien de l'art, érudit et collectionneur, qui a vécu à cheval entre les 19ème et 20ème siècles et qui, dans ce volume (publié en 1927), nous offre, dans une prose exubérante et d'un ton fréquemment lyrique, une grande fresque de l'histoire de l'art comparé, à travers le monde entier et toutes les époques, dans une perspective anthropologique, en cherchant à montrer l'enracinement de la production humaine dans le contexte physique et matériel, mais en essayant en même temps de surprendre en eux l'élan de l'esprit humain en train de se donner sa propre forme.
C'est une perspective anthropologique que, Congdon, je pense, a aussi partagée. Malgré sa vie solitaire, il a toujours été nostalgique de la communion-communauté humaine et très attentif aux drames collectifs.
Et je pense qu'on peut considérer sa peinture de voyage comme une sorte d'anthropologie ou d'ethnographie synthétique, par images, dans le langage très particulier de sa peinture.
C'est pour ça – et aussi pour trouver la clé de sa propre identité – qu'il s'embarque, dans la seconde moitié du 20ème siècle, en un bizarre et anachronique Grand Tour, à la suite de grands artistes du passé.
Mais je voudrais ici citer un passage du livre de Faure, qui doit avoir profondément marqué Congdon, là où sont définies la figure et la mission du peintre dans les époques de crise, quand la communion-communauté se dissout et les individus sont «désorbités» dans leurs «solitudes arides»:
«Dans ces périodes critiques redoutables, où presque tous les individus désorbités errent dans les solitudes arides de leur esprit et n'agissent plus qu'au hasard de leurs impulsions, de leurs habitudes, quelques-uns, et le peintre en particulier, portent l'héroïsme du monde. Ils n'ont pas d' autre fonction que de recréer dans leur âme, à leur manière, l'unité primitive, pour la transmettre intacte à l'organisme qui sera. Quand les colonnes du temple s'écroulent, la fonction du peintre-héros est de tendre ses deux épaules, pour en soutenir l'architrave jusqu'à ce qu'un autre approche et lui permette de mourir».
Cette idée du "peintre-héros" – qui d'ailleurs a aussi une référence "christique" ambiguë - n'était pas exempte d'un certain surhommisme que Congdon lui-même avoue, en se remémorant ces années:
«Comme si j'étais assailli par un élan cosmique d'embrasser toute la terre dans une image monumentale, je voyageais rapidement et en recherchant constamment dans les symboles rédempteurs des autres mon propre salut».
Donc, sa peinture est une enquête inquiète sur les édifices, sur les milieux que l'homme habite dans un strict entrelacement entre l'architecture et la tectonique naturelle, où souvent les deux échangent leurs rôles.
Dans tous les cas: une investigation sur les manières dont l'homme cherche un sens qui le transcende.
La précarité des oeuvres humaines qu'il a expérimentée pendant la guerre et dans l'après-guerre, hanté par le cauchemar de la bombe, rend urgente, pour lui, la tâche de déchiffrer leurs messages devenus obscurs pour l'homme d'aujourd'hui. Son Grand Tour, ce n'est pas du tourisme!
Comme l'a très bien écrit encore Licht, en comparant Congdon au grand graveur Piranesi, lui aussi a été capable d'arriver à un véritable portrait, et même à une véritable biographie des monuments peints. Et il ajoute:
«Ces biographies n'ont pas de compromis, elles mêlent admiration et terreur face au spectacle de la vie, de la mort, et de la seconde vie à laquelle renaissent les monuments quand la faculté humaine d'en reconnaître le sacré les transforme en reliques puissantes ».
Ici, Licht parle de l'admiration et de la terreur que ces images inspirent. De son côté, Congdon a écrit que la peur et la mort sont le "lieu fécondant" de ses images.